Sibylle Claudel et Christophe Tison : autour des ruines d'une famille Comment cultiver l'espoir lorsque tout un univers se décompose. Par Dominique Le Guilledoux Le Monde En 2000, il y eut une sorte de bug : dormir pour ne pas mourir. Tout arrive en 2007 : le deuil le plus terrible, celui d'une mère, la sensation "d'être une particule perdue dans l'Univers, le sentiment d'être arraché à l'amour sans limite de sa vie et une pulsion : jeter le sommeil et la mort dans une sorte de colère brutale, une volonté de bonheur, soudain immense déferlante et se retrouver sur les planches d'une scène de théâtre derrière un rideau de velours rouge. Elle avance, elle avance enfin dans la lumière, un petit frère Antoine dans le public, l'être qu'elle a désormais le plus cher au monde, Sibylle bourrée de trac se dit : "Je suis en vie pour toujours"". Tout a commencé à l'âge de 6 ans, par la perte d'un premier petit frère. Il est parti comme il est venu, dans le mystère. "Il est mon frère et pourtant je ne connais ni son père ni son nom de famille." Le mystère, elle l'a percé dans le regard de Maria, sa mère : "Elle l'a tué."Elle le sait au plus profond d'elle. Et elle l'écoute : "Tout ce qui m'arrive n'est rien, comparé à la misère du monde." Tout allait si bien avec un nouveau compagnon, Simon : un nouveau bébé, Antoine. Jusqu'à la tentative de suicide de Maria, la mère, et deux mots entêtants pour Sybille, le choix entre la Ddass et le père. D'abord le père, puis la Ddass. Bientôt Sibylle n'aura d'autre alternative que de tourner en rond autour de sa famille devenue imaginaire, ballottée entre foyers, amants ratés, violents, voyous, toxicos, squats, famille réelle qui vivra avec elle une inexorable décomposition, à l'exception d'Antoine, le survivant de l'hécatombe, seul coeur de cette foutue famille. Le choix, c'est-à-dire la pulsion de vie. Le style est inimitable. Des sensations physiques, une énergie à cultiver l'espoir même quand il ne cesse d'être déçu, un sens de la légèreté, du comique dans la tragédie, un charme enfantin, malgré la peur, la sensation d'être dans une prison mentale, de pouvoir tout avec de la séduction, et de ne pouvoir rien, sauf de tourner en rond, entre angoisse, peur du gendarme et une émotion plus forte que tout. Sibylle décide de ne plus jamais "fermer (sa) gueule, de ne plus jamais subir la loi des autres". Elle en a déjà suffisamment avec la loi que "le destin (lui) impose". Nuit en boîte, "soirée magique". "Je suis soudain surpuissante. J'ai trompé tout le monde, échappé à tous, échappé à ce monde qui m'étouffe. Je suis capable de marcher seule sur la terre et ça ne m'angoisse pas. Juste un instant de bonheur, rien que pour moi."Une quête délirante de quelqu'un qui l'aime. Et puis la peur : "Je ne suis rien." Ce rien à la Pessoa est une rédemption qui la sépare de la nuit à la lumière. MÊME PAS MORTE de Sibylle Claudel et Christophe Tison. Grasset

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